Les prix planchers continuent d’animer les débats
À l’occasion d’une table ronde organisée par l’ONG Max Havelaar au Salon de l’agriculture, les intervenants ont tour à tour débattu sur la question des prix planchers, alors que le sujet n’a, semble-t-il, pas été enterré par le président de la République.
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Mesure promise en février 2024 par le président de la République lors de sa venue sur le Salon international de l’agriculture (Sia), et réaffirmée lors de cette année, la proposition de « prix plancher » n’a pas fini d’animer les débats. L’ONG Max Havelaar a souhaité revenir sur ce concept et son potentiel pour les agriculteurs et les filières, lors d’une table-ronde le 25 février 2025 qui s’est tenue au Sia, posant la question de la rémunération du producteur.
Pour la Confédération paysanne, qui a également pris la parole sur ce sujet lors du Sia, « exiger un prix minimum est la seule solution pour éviter la disparition des fermes : nous le voulons comme un progrès social ». Selon la députée écologiste Marie Pochon, si les prix planchers « ne régleront pas tout », ils s’apparentent néanmoins à « une garantie ».
Les prix planchers refont surface (22/02/2025)
Un même prix plancher pour tous ?
« Dans la manière de fixer le prix plancher, il subsiste énormément de possibilités, explique Rémi Avignon, économiste à l'Inrae. Est-il basé sur le coût en sortie de ferme ou celui en sortie d’usine ? Consiste-t-il en un objectif de revenu pour les agriculteurs ? Prend-il en compte les cours internationaux, les contraintes de demande ? Le prix plancher inclut beaucoup de dimensions différentes ». Finalement, « la définition la plus large du prix minimum consiste au prix au-dessous duquel on n’autorise pas de transaction », ajoute-t-il.
« Les prix planchers, ou prix minimums, selon la manière dont on les appelle, sont au cœur de notre dispositif de commerce équitable », poursuit l’ONG Max Havelaar. Pour le calculer, l’ONG indique partir du coût de production des agriculteurs, pour arriver à un prix de revient, soit « un prix qui soit rémunérateur pour les producteurs ». « Derrière, il faut étudier les charges qui dépendent de la production, celles qui dépendent de l’exploitation », puis est ajouté le paramètre de la rémunération de l’agriculteur, sur la base « d’un Smic et demi ». « Cela correspond à notre volonté d’une rémunération qui fait sortir les agriculteurs de la pauvreté. »
Face à des interrogations sur le différentiel de coût de production qui existe entre la production conventionnelle, la production bio, ou encore la zone montagne ou plaine, Max Havelaar indique par exemple fonctionner avec quatre prix de base pour la filière du lait : selon conventionnel ou bio, zone de montagne ou zone de plaine. Un travail de consultation entre agriculteurs, coopératives et experts permet d’arrêter un prix minimum tous les ans, mais « réactualisé avec l’indicateur Ipampa (1) fourni chaque mois, comme c’est le cas pour la filière laitière par exemple ».
« Un outil indispensable » pour la Confédération paysanne
Toutefois, « il faut avancer vite, déclare à son tour la Confédération paysanne. On n’a pas le luxe d’attendre dix ans ». « Ce qu’on réclame c’est un prix minimum, défend sa porte-parole Laurence Marandola. On continue de porter cette proposition très forte. »
Le manque de visibilité économique est difficile, selon Laurence Marandola. « 20 % des agriculteurs sont sous le seuil de pauvreté, l’outil structurel indispensable est d’abord que l’on cesse de travailler à perte, souligne-t-elle. Cette situation de décalage, avec un prix qui ne couvre plus du tout nos coûts de production, s’est accentuée ces dernières années. » Cette proposition doit « donner de la visibilité, de la garantie et un souffle d’air aux agriculteurs ». « Un outil prix minimum serait absolument indispensable », martèle la représentante du syndicat.
La prochaine loi Egalim qui s’annonce pour cet été « ne suffira pas vu où elle en est aujourd’hui, et n’ira pas jusqu’au prix minimum », déplore la porte-parole. Pour le syndicat, cette loi doit reposer sur une démarche contraignante et non pas volontariste des filières, comme c’est le cas aujourd’hui avec la loi Egalim.
Outre la question de la loi, la Confédération paysanne souhaite aller plus loin avec le principe « d’interdiction de transaction en dessous de prix minimums », ajoutant qu’à l’échelle européenne, d’autres États portent de l’intérêt à cette notion d’interdiction d’acheter sous un prix minimum.
» Instaurer un revenu qui va au-delà de la décence »
Cependant, la rémunération des agriculteurs ne peut pas dépendre uniquement d’un prix minimum. « Il faut coupler des mécanismes de prix minimum à des outils de régulation du marché international », complète Thomas Gibert, secrétaire national du syndicat. « Il doit aussi y avoir un prix minimum d’entrée pour les importations. Des barrières tarifaires existent, des contingents peuvent être mis en place, des saisonnalités sur les dates d’importations… : il faut utiliser ces mécanismes. Ce n’est pas un problème technique, c’est un problème de volonté », argue-t-il.
Pour l’économiste Rémi Avignon, « la loi peut décréter un prix mais pas un revenu. Il faut s’assurer que la demande soit quand même là dans tous les cas ». « Dans un marché ouvert, si le prix plancher est supérieur au prix d’un produit qu’un industriel pourrait obtenir ailleurs à moindre coût, alors on peut garantir un prix pour les agriculteurs mais on ne peut pas garantir les quantités de la rémunération », met-il en vigilance. « Le prix plancher garantit un prix à l’agriculteur, mais ne garantit pas les quantités. Si on ne fait qu’augmenter les prix, est-ce que la demande sera encore là ? »
Se pose alors la question des mesures de protection face aux importations. « Le prix plancher est intéressant en combinaison avec d’autres outils économiques », insiste-t-il.
L’ONG a également souhaité mettre en avant la question d’un « revenu d’intérêt pour l’agriculteur » : « Il faut instaurer un revenu qui va au-delà de la décence, et qui permette de continuer à intéresser les nouvelles générations, d’assurer le renouvellement des exploitations, d’engager la transition écologique, selon elle. Il reste encore du travail pour le définir. »
Des outils de régulation à ajouter
À l’occasion de cette même table-ronde, Marie Pochon, députée de la Drôme, est revenue sur la proposition de loi en faveur des prix planchers dont elle est l’autrice. Instaurer des prix planchers est un « enjeu central pour répondre aux revendications des agriculteurs, et également dans un monde qui devient de plus en plus incertain, pour assurer de la visibilité aux agriculteurs, maintenir des fermes et des capacités d’installation, ainsi que la capacité de souveraineté alimentaire », expose la députée écologiste.
« La proposition de loi comprenait des éléments sur les prix rémunérateurs, mais ne comprenait pas d’éléments sur la concurrence déloyale, alors que bien évidemment cela doit en faire partie », complète-t-elle. « Elle ne comprenait rien non plus sur la question de l’encadrement des marges, qui exige pourtant un travail sur la question de la chaîne de valeur plus globalement ». La proposition de loi, déposée en janvier 2024 à la suite des mobilisations du monde agricole, a donné lieu à « des débats passionnés » au sein de l’Assemblée nationale. Votée par les députés le 4 avril 2024, cette proposition visant à « garantir un revenu digne aux agriculteurs et à accompagner la transition agricole » est toujours en attente du Sénat pour être discutée.
« Un filet de secours »
Selon la proposition, le prix d’achat serait fixé en « conférence publique » par les acteurs du monde agricole « où les agriculteurs seraient majoritaires », filière par filière et, à défaut d’accord, par le gouvernement. Marie Pochon a également insisté sur la notion de diversité des bassins de production et des systèmes de production, pour finalement parler « de prix minimums ».
Sur la question du volontariat des filières, la députée a défendu l’aspect volontariste, ne souhaitant « forcer personne à fixer des prix planchers dans chacune des filières, c’est selon la volonté des producteurs ».
Enfin, elle désire que la mesure soit un outil dynamique, avec « des conférences de filière tous les quatre mois pour prendre en compte la volatilité potentielle des cours internationaux et des coûts de production et ainsi s’adapter ». « Les prix rémunérateurs ne régleront pas tout, mais c’est un peu une garantie, un filet de secours », conclut-elle.
(1) L’indice de prix d’achat des moyens de production agricole.
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